La région vue par George Sand

      "il y a en effet beaucoup à apprendre au cœur même de cette belle France, qu'il n'est pas de mode de visiter et qui par conséquent cache encore ses sanctuaires de poésie et ses mines de science dans des recoins inabordables. C'est ici un pays sans chemins et sans guides, sans aucune facilité de locomotion, et (où il faut conquérir toutes ses découvertes au prix du danger ou de la fatigue).

      Les gens qui l'habitent ne le connaissent pas plus que les étrangers. La vie purement agricole limite à de courts horizons les notions de chaque localité il est donc impossible de se renseigner en marchant, à moins de connaître le nom et la position relative de toutes les petites bourgades; sans une carte détaillée que je dois consulter à chaque pas."

La marche (Randonnée ) par George Sand

     Elle était trop artiste par toutes les fibres de son organisation, pour ne pas aimer la liberté, les hasards, les actes de courage et d'adresse, le spectacle continuel et varié de cette nature que le piéton seul possède entièrement, enfin toute l'activité romanesque de la vie errante et isolée.

     Je l'appelle isolée, lecteur, pour exprimer une impression secrète et mystérieuse qu'il plus facile à vous de comprendre qu'à moi de définir. C'est, je crois, un état de l'âme qui n'a pas été nommé dans notre langue, mais que vous devez vous rappeler, si vous avez voyagé à pied, au loin, et tout seul, ou avec un autre vous-même, ou enfin, comme Consuelo, avec un compagnon facile, enjoué, complaisant, et monté à l'unisson dans votre cerveau.

     Dans ces moments-là, si vous étiez dégagé de toute sollicitude immédiate, de tout motif inquiétant, vous avez, je n'en doute pas, ressenti une sorte de joie étrange, peut-être égoïste tant soit peu, en vous disant : A l'heure qu'il est, personne ne s'embarrasse de moi, et personne ne m'embarrasse. Nul ne sait où je suis. Ceux qui dominent ma vie me chercheraient en vain; ils ne peuvent me découvrir dans ce milieu inconnu de tous, nouveau pour moi-même, où je me suis réfugié. Ceux que ma vie impressionnent et agite se reposent de moi, comme moi de mon action sur eux. Je m'appartiens entièrement, et comme maître et comme esclave.

 

George Sand, extrait du roman Consuelo, chapitre LXXIII, tome III, de l'édition Michel Lévy, 1856.